Vous tombez des nues : le chef d'établissement vient de vous annoncer que votre enfant tyrannise ses camarades de classe. Violent, insultant, manipulateur, dominateur... Voici quelques qualificatifs dont le responsable scolaire affuble votre loulou. Pourtant, jamais vous n'auriez pu imaginer qu'il se conduisait de cette manière à l'extérieur. Pourquoi se conduit-il ainsi et pourquoi n'avez vous rien vu venir ? Quelles sont les sanctions encourues ? Comment réagir pour lui faire prendre conscience de la gravité de ses actes ? Valérie Piau(1), avocate et experte en droit de l'éducation et dans la défense des enfants et Yvonne Poncet-Bonissol, psychoclinicienne et présidente de l'Association de défense contre le harcèlement moral, reviennent sur le phénomène très sérieux des enfants harceleurs.
Enfant harceleur : quel est son profil ?
"Les enfants qui harcèlent leurs camarades de classe se conduisent généralement comme des petits tyrans dénués d'empathie, des chefs de cours de récré qui se plaisent à dominer" affirme Yonne Poncet-Bonissol, psychoclinicienne. Ces enfants ont généralement une colère refoulée en eux et ils l'extériorisent à travers la soumission qu'ils imposent aux autres. Paradoxalement, au lieu d'être mis à l'écart par leurs camarades de classe, ils sont plutôt considérés comme des leaders incontestables dont les ordres doivent être exécutés à la lettre. Rarement seuls, ils font en sorte d'être entourés par une bande qui cautionne aveuglément leurs faits et gestes et cela les rend évidemment plus forts. Un comportement qui est pourtant généralement à 1000 lieues de leur attitude à la maison : "Généralement, les parents ne s’aperçoivent pas de cela quand leur enfant est à la maison, puisqu'il fait plutôt profil bas et parle peu. C'est bien souvent le responsable éducatif qui vient les informer de son attitude, à leur grande surprise", souligne la psychoclinicienne.
Comment expliquer alors le comportement agressif de ces enfants plutôt discrets au sein de la famille ? "Bien souvent, ces enfants vivent dans un climat conflictuel à la maison, et de fait, s'identifient à l'agressivité dégagée par l'un de leur parent,"continue-t-elle. Le mécanisme d'identification au parent négatif se renforce au fur et à mesure des années, et l'enfant continue d'agir en fonction de ses pulsions. En réalité, ces derniers cachent de réelles souffrances et ne parviennent pas à les exprimer autrement que par la domination des autres.
Qui sont les victimes des enfants harceleurs ?
Bien souvent, ce sont les enfants qui affichent une certaine "distinction" physique qui sont le plus susceptibles d'être victimisés par les harceleurs. Trop enrobées, trop petites, avec des lunettes... Toutes les personnes qui ne rentrent pas dans la norme sont cibles d'attaques de la part du harceleur et de sa bande. Qui plus est, les enfants considérés comme de bons élèves, ceux que l'on nomme "les intellos", sont très souvent pointés du doigt et victimes de quolibets à répétition, voire de violences physiques.
Comment les parents prennent-ils conscience de la situation d'harcèlement ?
"C'est le proviseur qui avertit les parents, par lettre recommandée, de l'attitude de leur enfant envers ses camarades de classe et les convoque pour en discuter de vive voix" explique Valérie Piau, avocate. Lors de cet entretien avec le proviseur au sein de l'établissement, les parents doivent prendre note des griefs exprimés contre leur enfant et peuvent également défendre son cas. "Il est important que les parents puissent positiver le message en soulignant le fait que leur enfant - si c'est le cas - n'a jamais reçu d'avertissements de conduite, n'a pas maltraité par le passé ses camarades de classe, etc. Cette phase de dialogue est très importante," insiste l'avocate. Attention, il est essentiel que la famille du harceleur et du harcelé ne rentrent pas en contact afin d'éviter que les choses ne dégénèrent ! Seul le chef d'établissement doit faire office de médiateur dans ce type de procédure. L'entretien a donc pour objectif de rationnaliser les événements et de faire amende honorable en formulant des excuses sincères.
Comment se déroule le conseil de discipline ?
A l'issue de l'entretien avec le proviseur, plusieurs sanctions de la part de l'école sont envisageables pour condamner l'attitude d'un enfant harceleur : le blâme, l'avertissement de conduite, les mesures de responsabilisation, l'exclusion temporaire et définitive. Généralement, quand les faits sont graves, ces mesures - et notamment l'exclusion définitive - sont prononcées dans le cadre d'un conseil de discipline. Ainsi, les parents et leur enfant sont à nouveau convoqués par courrier à ce rendez-vous où sont présents le proviseur de l'établissement, le professeur principal, les parents délégués de classe et les élèves délégués.
Pour préparer leur défense, les parents peuvent consulter à tout moment le dossier de leur enfant. Ce dernier retrace tous les éléments concernant les faits dont il est coupable (témoignages, preuves écrites, etc.). Enfin, c'est l'enfant harceleur qui décide de la personne qui sera présente à ses côtés pour se défendre le jour J... Il peut alors s'agir d'un membre de la famille, d'un avocat, d'un ami, d'un voisin, etc. A l'image d'un tribunal, le conseil permet à la défense et à l'accusé de s'exprimer tour à tour pour défendre son point de vue, et bien entendu, pour l'enfant mis en cause, d'éviter à tout prix l'exclusion définitive.
Enfant harceleur : quelles sont les sanctions encourues ?
Dans les mesures prévues pour sanctionner l'attitude négative d'un élève, il y a tout d'abord le blâme qui est un rappel à l'ordre oral, puis l'avertissement qui laisse une trace écrite jusqu'à la fin de l'année scolaire dans le dossier de l'enfant. Il y a en outre ce que l'on nomme "une mesure de responsabilisation". Cette dernière permet à l'établissement de demander à l'élève de s'inscrire dans une démarche responsable auprès d'une association ou bien au sein même de l'établissement (ramassage des papiers dans la cours, rangement des livres de la bibliothèque, aide aux personnes en difficultés, etc.). Valérie Piau explique : "la mesure de responsabilisation est une alternative efficace et adaptée aux faits qui permet à l'enfant de prendre conscience de son attitude pour ne plus la répéter".
D'autre part, le chef d'établissement peut mettre en place une commission éducative qui vise à mettre en place un protocole de suivi particulier de l'élève harceleur avec la présence d'une assistante sociale par exemple. Enfin, en cas de fait graves, l'enfant risque une exclusion temporaire de classe ou d'établissement (maximum 8 jours) ou une exclusion définitive de l'établissement. Dans ce cas, le chef d'établissement doit immédiatement proposer aux parents une liste d'établissements dans la région, qui pourront accueillir l'enfant. "Il faut savoir que l'exclusion définitive ne règle pas tout. En effet, même si le leader est exclu, la bande reste et le harcèlement peut se perpétuer. Il est impératif que le responsable d'établissement puisse mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre ces pratiques graves".
Comment dialoguer avec son enfant qui harcèle ses camarades ?
Pour Yvonne Poncet-Bonissol, il est impératif de prendre le temps, dans un endroit neutre, de parler en tête-à-tête à son enfant. Ainsi en présence des ses parents, il doit pouvoir expliquer son geste et dire ce qui le pousse réellement à agir de la sorte. Est-ce une souffrance qu'il n'arrive pas à exprimer ? Un sentiment de frustration intense ? "Quoi qu'il en soit, il est très important de faire une mise au point avec son enfant pour qu'il prenne conscience de ses actes et qu'il exprime à son tour, la souffrance qu'il ressent" note la psychoclinicienne. Cela peut donc parfois aboutir à une remise en question du fonctionnement familial et des comportements de chacun.